Films labo
La compétition labo, on s’y bouscule pour découvrir des œuvres détonantes, littéralement hors du ton. Croisements inattendus, regards originaux, art consommé du risque, le labo clermontois ouvre ses portes aux plus curieux·ses d’entre vous.
L’importance de témoigner
Depuis plusieurs éditions, le documentaire se fait une place de choix au sein de la compétition labo, de nombreux films récoltant après leur passage à Clermont récompenses et sélections tels que Maalbeek (prix des effets spéciaux et prix du public en 2021) ou La Mécanique des fluides de Gala Hernández López (sélectionné en 2023), César du meilleur court métrage documentaire respectivement en 2022 et 2024 ; ou encore les films de Pang Chuan Huang (lauréat par deux fois du Grand prix de la compétition labo) qui sont régulièrement sélectionnés à l’IDFA (l’International Documentary Festival Amsterdam) la plus importante manifestation au monde consacrée au documentaire.
Cette nouvelle édition ne déroge pas à la règle, le documentaire montre qu’il a conquis une autonomie esthétique et construit un public. Il s’est libéré du simple cinéma direct, de l’observation, il s’est réinventé et est devenu un outil privilégié pour interroger les valeurs, les conflits et la mémoire. Alia Haju dans son Ship of Fools s’en sert magnifiquement bien, y injectant de l’animation pour lui permettre de témoigner, d’avoir son image manquante si dure à obtenir, effacée par les traumatismes ou occultée par l’histoire officielle. Nous vivons dans un monde où la peur de l’autre est devenue effarante. Comme si notre identité était menacée par l’extérieur, et en même temps fragilisée de l’intérieur, en crise. Or la question qui est au cœur du documentaire, c’est justement celle de l’autre. C’est l’humanisme. Alia Haju va vers l’autre, cet étrange superman libanais, pour s’accoquiner avec lui et arriver à survivre dans un Beyrouth tourmenté.
Dans le documentaire, le spectateur ou la spectatrice sait qu’il y a une personne derrière la caméra qui l’invite, qui l’emmène, qui lui propose de partager une expérience du monde. Xiu Ji Hui Xiang joue ce rôle, loin de l’émiettement de l’information telle que les médias et les réseaux sociaux la traitent, on découvre une Chine frappée de plein fouet par une récession économique. L’œil de Charles Xiuzhi Dong nous guide et nous fait découvrir toute la singularité de cette zone et de ses habitants.
Exit Through the Cuckoo’s Nest de Nikola Ilić et Polní Lékař aneb Pravidla Styku s místními e-dívkami d’Andran Abramjan et Jan Hofman interviennent sur la question de la guerre et permettent de l’envisager d’une manière nouvelle par le cinéma, c’est-à-dire à travers des dispositifs filmiques et dans la langue des images. Leurs approches sont différentes : Nikola raconte sa vie et son refus de participer à cette guerre inique au Kosovo au son de To Live For, son groupe punk hardcore façon Fugazi. Les deux réalisateurs tchèques, eux, se saisissent de la matière brute et déformée fournie par les drones pour emmener les spectateur·rice·s en zone trouble, jouant sur la plasticité et la sensorialité de leurs images d’un conflit non identifié.
Mais le labo, c’est aussi l’animation qui fait un impressionnant retour en sélection : cette technique est présente dans pas moins de 11 films. Et si, comme Emil Ferris vous aimez les monstres, vous allez être comblé·e : Supersilly avec ses Looney Tunes ultra-sexués qui permettent à Veronica Martiradonna d’explorer les origines de son trauma, ou encore Skroll du Hollandais Marten Visser qui glisse un hommage à Miyazaki au milieu de son turbulent et hyper-connecté bestiaire fantastique. C’est un plaisir de retrouver en compétition Gianluigi Toccafondo, animateur hors-pair à la technique unique. Dans La Voix des sirènes, ses personnages quasi-humains, en constante transformation, terrorisent leur petit monde. Bunnywood nous plonge dans les cauchemars provoqués par les mensonges de parents à leur enfant, c’est le brillant premier film de Mansi Maheshwari, étudiante de la prestigieuse NFTS (National Film & Television School) de Londres et qui a déjà eu les honneurs de la Cinéf. Les monstres de l’IA sont là aussi, pestiférés errants dans cette magnifique dystopie de l’italien Andréa Gatopoulos : The Eggregores’ Theory. La décharge finale viendra de La Fille qui explose engendrée par le duo Poggi / Vinel dont le second long métrage Eat the Night était encore en salle récemment. Leur héroïne, balafrée et motivée, porte en elle une colère froide face à une époque marquée d’une anxiété et d’une solitude généralisées malgré l’hyperconnexion.
Dystopique, connecté, furieux et curieux, bienvenue dans le labo 2025.
Coordination compétition labo
Calmin Borel
c.borel@clermont-filmfest.org
Comité de sélection
Calmin Borel, Lucas Brunier-Mestas, Fanny Dauny, Julie Gagne, Sarah Momesso, Christophe Soum, Jérôme Ters, Camille Varenne.